Le safran

pistils
Un trésor culinaire

Le terroir du Ventoux recèle un véritable trésor culinaire, une épice rare et précieuse qui n’est donc pas seulement un charme persan : le passionnant safran !
D’une fragrance et d’une saveur incomparables, les stigmates (fines extrémités du pistil) de safran sont la promesse d’une cuisine d’exception. Emondés quasi chirurgicalement, autrement dit extraits parfois à la pincette, puis séchés juste comme il faut, ces filaments récompensent une culture délicate et maîtrisée du fameux Crocus sativus. Cette activité exige en effet un soin extrême et se vit comme une passion ardente, pour quelques producteurs locaux, tout autour du Ventoux. Une vocation relancée tout naturellement puisque cet « or rouge » fut en effet abondamment exploité dès le XVIIème siècle dans le Comtat Venaissin, où l’on comptait sans doute plusieurs centaines de fermes safranières !

Une épice rare et précieuse

Las, des hivers exceptionnellement rigoureux, des campagnols trop nombreux et friands de cette plante ou encore des maladies végétales très contagieuses et récurrentes ont fait jadis des ravages et précipité le déclin du fragile safran en Provence. Mais celui-ci revient en force aujourd’hui, car il se plaît décidément bien sous un climat sec, en moyenne altitude et sur des terres argilo-calcaires, là où s’épanouissent déjà la vigne et l’olivier.
Voilà donc pourquoi un couple de parisiens, (à l’origine, lui architecte, elle décoratrice) a fait oeuvre pionnière en s’installant sur le coteau du Barroux pour relancer une production de haute qualité à partir de 2001 et fonder l’Aube Safran, développant parallèlement une charmante maison d’hôtes et des stages de cuisine. « Nous avons décidé de changer de vie, de nous former d’abord à l’agriculture bio puis de nous installer ici, comme exploitant agricole, sur un domaine de deux hectares mais en se limitant à une parcelle safranière de 1.000 m2. En France, cette culture ne peut se concevoir qu’à petite échelle », expliquent François et Marie Pillet… qui ont suscité depuis quelques vocations au voisinage !
« J’ai lâché mon boulot d’informaticien en Belgique pour venir travailler d’abord comme ouvrier agricole dans les vignes, en 2002, avant de tout apprendre sur cette fleur de safran. Une fleur qui m’a tout bonnement séduit. J’ai donc créé ma première safraneraie, huit ans plus tard », raconte ainsi Pascal Arvicus (l’Or rouge des 3 rivières, à Entrechaux).
Même coup de cœur pour Raphaël Chaveneau qui développe son exploitation (le Safran royal, à Saint-Cristol)

Le prix de la qualité

fleur-gros-planQuelques laboratoires sont habilités à vérifier le taux d’hygrométrie et divers critères stipulés par la norme ISO 3632 sur des échantillons de stigmates pour décerner un classement en catégorie 1 du safran de Provence (et d’autres régions de France). Ce « label » prouve ainsi que les producteurs du Ventoux ont leur place parmi les meilleurs et justifie, tout comme le volume encore marginal de cette production locale, le prix très « haut de gamme » de cette épice si convoitée. Le safran se négocie en effet bien plus cher que la truffe, le caviar ou même l’or métal !

A savoir

Le Ventoux est en pointe parmi les terroirs français voués au safran, au sein d’une Provence très dynamique et aux côtés d’autres régions comme le Périgord, la Savoie ou le Gâtinais. La production nationale totale ne dépasse cependant pas la centaine de kilos (!) alors que le Maghreb, la Chine ou l’Iran fournissent respectivement 2, 8 ou 400 tonnes  de safran… aux vertus plus ou moins discutables, surtout s’il est vendu sous forme de poudre, avec une possible déperdition de qualité voire un risque de fraude.

Un concentré de couleurs

Petite fleur aux pétales d’un doux « bleu-violacé », le safran fournit des filaments
d’un ton plutôt « rouge intense » (d’où son surnom d’or rouge)… qui procure ensuite une jolie teinte jaune aux plats cuisinés. La concentration des parfums et saveurs permet de se contenter de quelques dixièmes de gramme pour sublimer un plat tout simple et réjouir de nombreux convives !

La culture du safran exige de la méthode et de la patience

Quant à Denis Comes (le Safran Soleil à Pernes-les-Fontaines), cadre de banque retraité, il est tombé littéralement amoureux du safran. « La culture du safran exige de la méthode et de la patience, beaucoup de méthode et de patience ! » Il faut planter des bulbes en été, appelés aussi cormes. Ils augurent alors d’une éclosion florale, massive et éphémère, en octobre, synonyme d’une période de récolte très intense. Les plants vont ensuite se multiplier puis entrer en dormance, après une manipulation attentive de l’exploitant, promettant un rendement plus important l’année suivante. Entre-temps, il faut entretenir inlassablement la parcelle, biner et désherber manuellement et délicatement, surveiller la présence de petits rongeurs ou limiter le risque de pourriture des racines. « Ce n’est pas un métier à plein temps. On reste des artisans. Pour ma part, je m’épanouis dans ce travail très méticuleux et un peu intuitif, qui vaut bien n’importe quel stage « zen » ! » avoue Denis.
Cette production ne peut que rester confidentielle car elle s’avère parfois aléatoire, si les conditions météorologiques sont mauvaises notamment. Ensuite, il faut trier et prélever avec mille précautions les trois filaments – les stigmates de quelques millimètres de longueur – de chaque fleur, ce qui suppose une importante main-d’œuvre et un vrai savoir-faire. Et tout n’est pas encore joué ! Le séchage, réalisé dans la foulée de la cueillette, compte énormément. L’opération conditionne le succès d’une saison et demande une précision extrême. Son secret consiste à passer les filaments au four à 50°C ou 70°C pendant 20 à 30 minutes ! Un séchage naturel, au soleil, ferait peut-être plus « authentique » mais les rayons UV dégradent en fait terriblement le safran ! Dès lors, importé en masse du Maghreb mais surtout d’Iran ou d’encore plus loin en Asie, le safran exotique, séché « industriellement » ne tient plus la comparaison avec la production locale.
Le pays du Ventoux promet de son côté un safran d’exception, qui ne fait pourtant pas la fortune des exploitants mais enrichit une vraie passion du terroir, stimule un « circuit court » de commercialisation : préparations concoctées par les exploitants eux-mêmes (confitures, confits, pain d’épice…). Ils fournissent par ailleurs les restaurants des environs ou les plus grands chefs étoilés de tout l’hexagone. Car le safran exhale à coup sûr un pouvoir quasi magique en cuisine…

Le safran, fleur prodigue

D’usage médicinal dans les civilisations anciennes, parfois choisi pour colorant naturel (de luxe !) et surtout renommé pour ses qualités organoleptiques dues à deux composants majeurs (picrocrocine et safranal), le crocus sativus est connu depuis des millénaires. D’origine perse et grecque, le safran ressemble à bien d’autres plantes à bulbes comme le (toxique) colchique automnal voire le perce-neige printanier mais il n’a pourtant aucun lien de parenté avec celles-ci. Ne générant pas de graine fertile, la reproduction des bulbes doit être en effet « aidée » par l’homme. Cela consiste à séparer les excroissances de bulbes (ou cormes) et à les replanter, démultipliant ainsi les fleurs d’année en année. On peut ainsi rapidement densifier une parcelle restreinte et obtenir jusqu’à 230.000 pousses sur 400 m2 ! Autant de contraintes difficiles à maîtriser qui explique une culture forcément limitée et donc une valeur marchande « hors normes ».

La recette du chef

Recette-SafranBlancs de seiche quadrilles, risotto au safran citron confit au naturel

pour 4 personnes : blancs de seiche : 100gr par personne environ 20 gr le blanc de seiche, citron : 4, riz Arborio : 200gr, crème de Bresse : ½ litre, filaments de safran : 15,  sucre : 4 cuillères, échalotes : 2, fond blanc de volaille : ¼ cl

Progression :
– Faire mariner les pistils de safran la veille dans la crème de Bresse, couvrir afin d’amplifier les bouquets et développer l’aspect colorant, le jour J faire chauffer la crème et la réserver.
– Ciseler les échalotes, ajouter le riz Arborio afin qu’il devienne translucide, mouiller au vin blanc légèrement. Réduire entièrement jusqu’à complète évaporation.
– Ajouter au riz le fond blanc de volaille, en trois fois et réduire. Crémer le tout à la crème safranée en prenant soin de ne pas l’ajouter entièrement mais en plusieurs fois (garder l’équivalent d’un pochon)
Citron confit : zester la peau des 4 citrons avec le rasoir, presser en réservant les jus des citrons. Peser le jus des citrons, ajouter l’eau à quantité égale et 4 cuillères à soupe de sucre. Les zestes seront détaillés en julienne fine. Cuire le tout 45 minutes à couvert
– Laver les blancs de seiche et les quadriller de façon régulière pour les attendrir. Poêler les blancs de seiche au moment de dresser
– Dresser le risotto au safran à l’emporte-pièce rectangle, les blancs de seiche dessus, une fleur de safran en décoration quelques pistils de safran, le citron confit sur les blancs de seiche et la crème au safran réduite en cordon autour du plat.

Chef créateur : Delphine JULLIEN, Domaine de la Petite Isle à l’ Isle-sur-la-Sorgue (2014)

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